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LE BLOG DU BAR À BOEUFS
LE BLOG DU BAR À BOEUFS
30 décembre 2016

Concert du 11.12.2016

 

richepincouv

 

 

À MON AMI SANS-NOM Caniche errant sans profession


Je t’ai beaucoup aimé, grand voyou de caniche,
Et j’offris bien souvent la pâtée et la niche
À ton existence sans but.


Mais, par le rire obscur de ta prunelle bleue
Par le geste éloquent et voulu de ta queue,
Toujours tu me répondais zut !


Pourtant tu m’aimais bien aussi, toi, je l’avoue.
Par le soleil, ou par la pluie, ou par la boue,
Quand tu voyais l’ami Chepin,


Pour venir avec lui causer de balivernes,
Tu quittais même la grand’porte des casernes
Où fumait la soupe de pain.


Et cela n’était pas, quoique Bouchor en dise,
Un calcul d’intérêt fait par ta gourmandise :
Car tu savais bien, pauvre vieux,


Que je ne possédais souvent pas une guigne,
Et qu’en quittant pour moi la soupe de la ligne
Tu trouvais pis et non mieux.


Mais qu’importe ! C’était mon coeur et non ma bourse
Que tu cherchais, non pas la soupe, mais la source
Où se rafraîchit l’amitié,


Les longs épanchements qu’on veut toujours entendre,
Souvenirs, voeux, regrets, consolation tendre…
On souffre, on jouit de moitié.


Moi, je fais un gros drame, et j’en suis tout en nage,
Mon cher toutou, car mon principal personnage
Ne se dessine pas très bien.


Moi, je suis plus joyeux qu’un poète lyrique !
J’ai découvert un trou derrière une barrique,
Juste de quoi loger un chien.


Et les amours ? – Mon bon caniche, je suis triste.
Car la femme, vois-tu, n’aime pas bien l’artiste.
Trop plein de désirs superflus.


À qui le dis-tu, va ? La femelle nous triche.
Si le poète souffre, hélas ! pour le caniche
Tout n’est pas de rose non plus.


Ainsi, tiens, j’adorais une jeune épagneule,
Mais comme un fou, tu sais. J’en perdais nez et gueule ;
J’aurais mis pour elle un collier ;


Je me serais fait chien d’aveugle ou chien de garde.
Eh bien ! elle n’a pas voulu de moi, regarde,
Par peur de se mésallier.


Que de fois j’ai manqué, pour l’attendre, la soupe ?
Mais je n’y pensais guère, et je suivais la troupe
De ses soupirants, l’oeil en feu.


Or, un jour que pour elle à tous je tenais tête,
Elle m’a planté là pour un lévrier bête
Qui portait un paletot bleu.


Et tu me faisais part ainsi de tes détresses.
Nous mêlions tous les deux les noms de nos maîtresses,
Vantant leur charmes, leur baiser.


Et nous allions. La rue était pour nous fleurie
De conversation chère, de flânerie.
Nous passions le jour à causer.


Où donc es-tu, mon doux ami, mon bon caniche ?
Pourquoi n’as-tu pas pris la pâtée et la niche
Que je t’offrais pour être mien ?


Franchement, nous étions si bien faits l’un pour l’autre ?
Quelle amitié jamais aura valu la nôtre ?
Où donc es-tu, mon pauvre chien ?


Où donc es-tu ? Voilà plus d’un an que je traîne
Dans tout Paris, errant ainsi qu’une âme en peine,
Te cherchant sans t’apercevoir,


Avec ta laine blanche et ta prunelle bleue,
Avec le télégraphe amusant de ta queue
Qu’ornait un petit pompon noir.


Où donc es-tu ? Vis-tu prisonnière l’attache ?
A-t-on mis les ciseaux dans ta vierge moustache ?
Ah ! vis-tu seulement ? Ou bien…


Ou bien habites-tu, mort, le pays des songes,
Où la femme et la chienne aimeront sans mensonges
Le bon poète et le bon chien ?


Quel que soit ton destin, je garde ta mémoire ;
Et si mes vers un jour ont des lueurs de gloire,
Je veux que ton image y soit.


Ainsi ces médaillons bordés de pierreries,
Qui font vivre à jamais les figures chéries
Des gens qu’on aimait comme soi.

 

 

 

ÉPITAPHE POUR UN LIÈVRE


Au temps où les buissons flambent de fleurs vermeilles,
Quand déjà le bout noir de mes longues oreilles
Se voyait par-dessus les seigles encor verts
Dont je broutais les brins en jouant au travers,


Un jour que, fatigué, je dormais dans mon gîte,
La petite Margot me surprit. Je m’agite,
Je veux fuir. Mais j’étais si faible, si craintif !
Elle me tint dans ses deux bras : je fus captif.


Certes elle m’aimait bien, la gentille maîtresse.
Quelle bonté pour moi, que de soins, de tendresse !
Comme elle me prenait sur ses petits genoux
Et me baisait ! Combien ses baisers m’étaient doux !


Je me rappelle encor la mignonne cachette
Qu’elle m’avait bâtie auprès de sa couchette,
Pleine d’herbes, de fleurs, de soleil, de printemps,
Pour me faire oublier les champs, les libres champs.


Mais quoi ! l’herbe coupée, est-ce donc l’herbe fraîche ?
Mieux vaut l’épine au bois que les fleurs dans la crèche.
Mieux vaut l’indépendance et l’incessant péril
Que l’esclavage avec un éternel avril.


Le vague souvenir de ma première vie
M’obsédant, je sentais je ne sais quelle envie ;
J’étais triste ; et malgré Margot et sa bonté
Je suis mort dans ses bras, faute de liberté.

 

 

 

 


FRÈRE, IL FAUT VIVRE à Mauride Bouchoir

J'ai pleuré, j'ai souffert d'un long amour déçu
Et je me suis repu de larmes et de fièvres
Cela ne nourrit pas je m'en suis aperçu
Frère, bois à plein verre et baise à pleines lèvres

Oui, je pleurais hier et j’en voulais mourir.
Frère, étais-je assez bête ! Ah ! j’aime mieux être ivre !
Et tout de suite ! mieux vaut tenir que courir.
Verse-moi du vieux vin, beaucoup. Frère, il faut vivre !


Verse ! J’ai le gosier meurtri par les sanglots,
J’ai la luette sèche et j’ai la langue rêche.
Verse ! verse du vin ! Encore ! Et que ses flots
Au ruisseau de mon cou chantent leur chanson fraîche !


Et fais-nous apporter des viandes, du jambon
Rose comme une joue en fleur de miss anglaise,
Et du roastbeef saignant. Frère, le sang est bon.
Et déboutonnons nos gilets tout à notre aise !


Le saucisson non plus, frère, n’est pas mauvais.
C’est l’éperon à boire. Ohé ! qu’on nous l’amène !
Nous lutterons avec la ripaille, et je vais
Enterrer son armée au creux de ma bedaine.

Frère, veux-tu dormir sur ce bon matelas ?
Jusqu’à l’heure où le ciel est bleu comme du soufre
Qui flambe, nous ferons un long somme, étant las.
Nous ne rêverons point, car en rêvant on souffre.


Et demain, au réveil, nous serons frais et gais,
Nous aurons ce beau teint fleuri que l’on révère.
Nous chanterons ; et quand nous serons fatigués,
Nous recommencerons à vider notre verre.


Et nous irons ainsi demain, après-demain,
Toujours. Si quelqu’un dit que l’on se déshonore
À ce jeu, nous ferons, en nous tenant la main,
Au nez de sa vertu ronfler un rot sonore.


L’honneur, c’est de bien vivre et d’être très heureux.
Ventre libre, pieds chauds, coeur vide et tête froide.
Au diable les prêcheurs rigides ! Bren pour eux !
C’est l’affaire d’un mort de se montrer si roide.


Nous, nous sommes vivants, et très vivants, morbleu !
Nous trouvons le vin bon et les femmes bien faites,
Et nous ne voulons pas mettre un crêpe au ciel bleu.
Ni penser qu’il y a des lendemains aux fêtes.


Quels lendemains, d’ailleurs ? La mort n’en est pas un.
Ce n’est pas un coucher qui promette une aurore ;
C’est le retour d’un peu de rien au tout commun ;
Sous un aspect nouveau c’est de la vie encore.


Mais voilà ! Quelle vie ? Est-ce ma vie à moi ?
Non. Quand je serai mort j’aurai fini ma vie.
Tu ris ? Tu me crois soûl, n’est-ce pas ! Et pourquoi ?
Ma phrase à La Palice aurait pu faire envie,


Soit ! Mais ce La Palice était un incompris.
On a dit un grand mot en disant qu’un quart d’heure
Avant sa mort… Tu sais le reste ; il a son prix,
Et dit qu’il fait bon vivre avant que l’on ne meure.


Donc, frère, encore un coup, mangeons, buvons, baisons,
Vivons, pleins d’une faim de vivre inassouvie !
Et quand la mort clora nos mâchoires, faisons
Du hoquet de la mort un salut à la vie !

 

 

 


IVRES-MORTS


Si nous faisions une orgie,
Trognon, qu’en dis-tu ?
Lit défait, nappe rougie,
Zut à la vertu !
Notre amour qui vient de naître
Demain sera mort peut-être
Avec cette nuit d’été.
Pour qu’il voie au moins l’aurore
Il faut boire, et boire encore,
Boire à sa santé.


Le vin coule, coule, coule.
Coulons comme lui.
Sous le large flot qu’il roule
Roulons notre ennui.
Dans sa pourpre qui ruisselle
Flambe une longue étincelle,
Rayon du couchant vermeil.
Afin d’égorger ma peine,
Prends ma poitrine pour gaine,
Poignard de soleil.


Le vin glousse une romance
Dans les longs goulots.
Les flacons à large panse
Versent des sanglots.
Le flot chantant diminue.
La bouteille toute nue
Va tomber en pâmoison ;
Et dans ce cristal splendide,
Comme moi sonore et vide,
Dort notre raison.


Tiens ! je bois. Passez, muscade !
Toi, les doigts tremblants,
Ton vin fuit et fait cascade
Entre tes seins blancs.
Comme il s’éparpille en route !
Au tétin rose une goutte
Forme un rubis rouge et clair.
Flacon qu’un joyau décore,
Je veux mordre et mordre encore
Ton goulot de chair.


Comme des boeufs à l’étable
Laissant choir nos fronts,
Mignonne, entrons sous la table ;
Nous y dormirons.
Loin du fauve éclat des lampes
Nous rafraîchirons nos tempes
Dans les flaques du parquet,
Et sur ta lèvre pâlie Je boirai jusqu’à la lie
Ton dernier hoquet

 

 

 

 

LA GLOIRE DES INSECTES


C’est avril. C’est midi. La terre a mis son châle
De verdure et de fleurs au dessin ondoyant,
Et le ciel tend sur elle un dais de velours pâle
Que le soleil retient d’un clou d’or flamboyant.


La nature fredonne un vieux chant de nourrice
Et brode une layette en merveilleux festons ;
Car elle sent les fruits germer dans sa matrice
Et le lait de la sève arrondir ses tétons.


Nous, ses fils orgueilleux, les chefs de la famille,
Nous croyons être seuls bercés sur ses genoux.
Nous oublions toujours que son giron fourmille
De plus petits enfants aussi choyés que nous.


Si parfois nous pensons à nos frères, les brutes,
Qui devraient être rois étant les premiers nés,
C’est pour nous souvenir qu’après d’ardentes luttes
Nous volâmes leur droit d’aînesse à ces aînés.


Si nous pensons aux soins que prend d’eux la nature,
C’est pour nous figurer qu’à nous, ses Benjamins,
Comme une ménagère apprêtant la pâture
Elle veut les offrir engraissés par ses mains.


Mais quant au peuple obscur des petits, des insectes,
Qu’elle les aime ou non, nul ne veut le savoir.
Poussière d’avortons nés de larves infectes,
Nous les méprisons trop pour chercher à les voir.


Or, comme je rêvais ainsi, couché dans l’herbe,
Voulant que de moi seul la nature eût souci,
Tandis que je cuvais le vin de ma superbe,
Une petite voix m’a bourdonné ceci :

*

Es-tu poète ? Mets ensemble
Le plus clair cristal, qui te semble
Un pleur du ciel,
L’opale dont l’éclat se gaze
Sous un lait trouble, la topaze
Couleur de miel,


L’émeraude qui dans sa flamme
A l’air de faire brûler l’âme
Du printemps vert,
L’escarboucle de sang trempée
Pareille à la goutte échappée
D’un coeur ouvert,


Le saphir sombre qui scintille
Plus que les yeux bleus d’une fille
Près d’un amant,
Mets le roi de toutes ces pierres,
Devant qui tu clos tes paupières,
Le diamant,


Que pour toi ce trésor s’arrange
En une mosaïque étrange
Aux tons divers,
Que ces belles choses sans nombre
De leurs feux illuminent l’ombre.
De tous tes vers,


Combine d’une main savante,
Imagine, compose, invente,
Refais, refonds,
Sers-toi des poinçons et des limes,
Et que tes dessins soient sublimes
Et soient profonds,


Quand ton oeuvre sera finie,
Malgré l’effort de ton génie,
Tous tes cadeaux
Ne pourront remplacer encore
Ceux dont la nature décore
Mon petit dos.


Je fais mon nid dans une feuille.
Un enfant, pour peu qu’il le veuille,
Du bout du doigt
Peut briser ma feuille et ma vie.
Pourtant je suis digne d’envie,
Môme pour toi.


La nature, la mère auguste,
N’est pas une marâtre injuste
Comme tu dis,
Et pour d’autres que pour les hommes
Elle a fait du monde où nous sommes
Un paradis.


À qui donc sont les bois, la mousse,
Les champs, les prés, le grain qui pousse,
L’herbe qui poind ?
Est-ce à toi, né dans une ville,
À toi dont la charogne est vile
Et ne sert point ?


Ou bien aux bêtes mes compagnes,
Les seuls hôtes qui des campagnes
Soient coutumiers,
Elles qui vivent des prairies
Et qui les font toutes fleuries
De leurs fumiers ?


Ou bien est-ce à moi, le gueux libre,
Soul d’azur et dont l’aile vibre
En plein soleil,
Moi qui l’été m’amuse et rôde,
Qui l’hiver sous la terre chaude
Dors mon sommeil,


Et qui cours joyeux par la plaine,
Mangeant à ma guise, sans peine
Et sans remords,
Suivant la Mort épouvantable
Qui partout dresse sur ma table
La chair des morts ?


Lorsque je vis à ne rien faire,
Toi, tu travailles, pauvre hère,
Jusqu’au tombeau.
La sueur te brûle et te sale.
Ton corps est laid, ton corps est sale.
Moi je suis beau.

*

Et je vis, sur ma main, bourdonnant de colère,
Un être merveilleux et pourtant tout petit.
Ce rien du tout luisait comme un spectre solaire.
C’était un scarabée. Il eut peur et partit.

 

 

 

 

LARMES D’ARSOUILLE


Les voyous les plus noirs sont fous de la campagne.
L’hiver ils vivent dans Paris ainsi qu’au bagne,
Captifs. La liberté pour eux, c’est le printemps.
Aussi, lorsque l’hiver les lâche, ils sont contents.
Pour recevoir Avril, plus d’un se débarbouille,
Et le nouveau soleil illumine l’arsouille.


Il va, droit devant lui, rêveur, sans savoir où,
Gambadant comme un chien et chantant comme un fou
Rien qu’à voir les talus, les fossés et les buttes.
C’est là que, tout gamin, il faisait des culbutes ;
C’est là, les soirs d’été, qu’il se gavait le flan ;
C’est là qu’il enleva son premier cerf-volant ;


C’est là qu’il vint un jour avec Jeanne, la sienne,
Du temps qu’elle portait un tablier d’indienne ;
C’est là qu’en rougissant ils s’assirent, très las,
Et que leur amour frais fleurit comme un lilas.
Or, l’on a beau, depuis, avoir oublié Jeanne,
Vivre comme un cochon, s’abrutir comme un âne,


Après tout on n’est pas un sans-coeur, n’est-ce pas ?
Et le méchant vaurien retrouve à chaque pas
Un nid de souvenirs qui chantent dans son âme.
Oh ! la bonne chanson, qui regrette et réclame !
Ainsi le rossignol n’a qu’à parler, sa voix
Fait taire autour de lui tous les oiseaux des bois ;


Ainsi le doux passé plein de mélancolie
Fait taire le présent de l’arsouille. Il oublie
La noire glu du vice où son coeur est collé,
Les réveils lourds des soirs où l’on a rigolé
Dans la crapule grasse et sale des barrières,
Pour aller s’échouer ivre-mort aux carrières,


Les jours entiers passés à ne rien faire, et ceux
Ensanglantés parmi des coup de poings poisseux,
Et les pierreuses dont on va piquer l’assiette
En trempant une soupe au fond de leur cuvette,
Et ce tas de marée immonde, vase à flot
Dans laquelle on s’endort comme un poisson dans l'eau.


Arrière, cet égout ! Loin d’ici, mauvais rêve !
Le pauvre diable vit cette minute brève
Où le bonheur passé qui vous remonte au coeur
Vous grise d’une amère et suave liqueur ;
Et sans honte de sa faiblesse, sans scrupule,
Sans penser qu’on pourrait le trouver ridicule,


Il pleure doucement, l’arsouille ; et dans ses yeux
Ces pleurs inattendus sont plus délicieux
Que si dans une fleur du soleil embrasée
Un oiseau déposait des gouttes de rosée.

 

 

 

LES TERRAINS VAGUES


Quand juillet a roussi l’herbe des terrains vagues,
Ils ont l’air de grands lacs de rouille, dont les vagues
Portent pour immobile écume des gravats.
C’est là pourtant, ô gueux de Paris, que tu vas,


Dans ce lugubre champ qui pour fleur a l’ordure,
Quand tu veux par hasard prendre un bain de verdure.
La campagne est trop loin. L’omnibus est trop cher.
Et toi, le Juif-Errant, toi qui marchais hier,


Qui marcheras demain, qui dois marcher sans trêve,
Tu veux faire aujourd’hui ta promenade brève,
Et tout le long du jour, oubliant ta rancoeur,
Au verre du repos t’enivrer à plein coeur.


Dans les jardins publics on n’est pas à son aise :
Trop de monde ! D’ailleurs il faut payer sa chaise
Comme à l’église. Il faut être un richard. Ou bien
Si l'on dort allongé sur un banc, un gardien


Surgit, chasse le rêve à sa voix de rogomme,
De son poignet brutal étrangle votre somme,
Et, parmi les badauds dont une meute accourt,
Vous traîne par le col en criant comme un sourd :


« Il faut dormir chez soi quand on est soûl, crapule. »
Et ce gros propre à rien vous flanque sans scrupule
À la porte, et la foule en riant dit merci.
Toi donc qui veux dormir sans gêne et sans souci,


La face vers le ciel et le dos sur la terre,
Tu vas dans un terrain vague, bien solitaire.
Pas de cris. Pas de bruit. Pas de bonne d’enfant.
Pas de gardien. Personne ici ne te défend


De donner à ton corps, qui souffre, un peu de fête,
Et tu peux à ton gré dormir comme une bête.
Des bêtes, en effet, chats morts ou chiens galeux,
Sont tes seuls compagnons, ô coucheur scandaleux


Qui pour buen retiro prends cette place immonde
Où gisent les débris honteux de tout le monde.
Que t’importe ? Les pieds fourbus, les membres las,
Tu ne sens nul dégoût d’avoir pour matelas


La cuvette où vomit la cité colossale.
Un lit est toujours doux, même quand il est sale.
Au beau milieu du champ, tu choisis un bon creux,
Où les tessons pointus soient un peu moins nombreux,


Où le sol n’ait pas trop de durillons, où l’herbe
Ne prenne pas un air absolument imberbe.
Tu t’estimes veinard, fadé d’un chouette écot,
Si quelque pissenlit, quelque coquelicot,


Avec son pompon jaune ou bien sa rouge crête
Fait un mouchetis d’ombre au dessus de ta tête.
Dans ce trou, lentement, comme dans un hamac,
Tu te couches, les bras croisés sur l’estomac,


Les jambes en compas, la figure couverte
De ta casquette ; et là, barbe au vent, bouche ouverte,
Dans ce coin de nature où tu te sens chez toi,
Tu goûtes le bonheur de n’avoir point de toit.

 

 

 

NATIVITÉ


D’aucuns ont un pleur charitable
Pour Jésus né dans une étable.
Je sais un sort plus lamentable.


Je sais un enfant ramassé,
Un jour de décembre glacé,
Nu comme un ver, dans un fossé.


Il est nuit. Pas une voisine
N’offre sa grange ou sa cuisine
À la pauvre mère en gésine.


Malgré sa mine et son danger,
Qui donc voudrait se déranger ?
Elle est en pays étranger.


Donc, depuis l’étape derrière,
Se traînant d’ornière en ornière
Elle va, bête sans tanière,


Bête hagarde qui s’enfuit,
Et cherche à tâtons un réduit,
Les yeux grands ouverts dans la nuit.


Ses reins lui pèsent. Ses mamelles
Que gonflent des cuissons jumelles
Sont pleines comme des gamelles.


Son ventre, où flambent des charbons,
Sent l’enfant, fils des vagabonds,
Qui veut sortir et fait des bonds.


Elle va quand même, plus lente,
Tirant ses pieds lourds dont la plante
Saigne. Elle va, folle, hurlante,


Soûle, et, boule, roule au fossé,
Et maudit le mâle exaucé
Par qui son flanc fut engrossé.


La face au ciel, comme en extase,
Elle se tord. Son cou s’écrase
Sur les cailloux et dans la vase.


Elle accouche enfin, en crevant ;
Et le gueux nouvel arrivant
Grelotte et vagit en plein vent.


Le vent est dur, sa chair est nue.
Aucune étoile dans la nue
Ne vient saluer sa venue.


Pas de mages, pas de cadeaux,
De crèche, de bergers badauds !
Il est seul, couché sur le dos,


Comme un supplicié qui claime,
Tout noir près du cadavre blême,
Sans personne au monde qui l’aime ;


Et, par sa mère au ventre ouvert
Je jure, le front découvert,
Que l’autre n’a pas tant souffert !

 

 

 

NOCTAMBULES


Par les quais, les places, les rues,
Après minuit, avant le jour,
Lorsque les foules disparues
Dorment leur somme épais et lourd,


Quand l’ombre sur les ridicules
Jette son manteau ténébreux,
Ils vaguent, les bons noctambules,
Et sous le ciel causent entre eux.


Ils ont pour cravate une loque ;
Leurs habits sont vieux et souillés ;
Et leur pantalon s’effiloque
Sur le rire de leurs souliers.


Mais ils se moquent de la pluie
Qui rafraîchit leur crâne en feu
Et de la bise qui s’essuie
Sur leur nez qu’elle peint en bleu ;


Et d’un pas digne et philosophe
Ils se promènent bravement,
Mouchoirs humains de mince étoffe
Trempés des pleurs du firmament.


Leurs poches vides sur leurs cuisses
Ont beau prendre l’air par les trous,
Ils vont, fumant comme des Suisses,
Gesticulant comme des fous.


Ce sont des rêveurs, des poètes,
Des peintres, des musiciens,
Des gueux, un tas de jeunes têtes
Sous des chapeaux très anciens.


Au fond de vagues brasseries
Ils ont bu tout le soir à l’oeil.
Aussi leurs âmes sont fleuries
De vert espoir, de rouge orgueil.

 

« Nous savons bien ce que nous sommes,
Notre avenir n’est pas suspect ! »
Et ces pauvres futurs grands hommes
Se parlent d’eux avec respect.


L’un refondra la poésie,
Et du moule de son cerveau
Dans le ciel de sa fantaisie
Fera jaillir l’astre nouveau ;


L’autre pétrira la lumière
Sur sa toile ; l’autre, levant
Son rude marteau sur la pierre,
Y tordra son rêve vivant ;


Celui-ci doit trouver la gamme
Des airs qu’on chantera demain ;
Celui-là cherche l’amalgame
D’où naîtra le bonheur humain ;


Tous avec une voix certaine
Escomptent l’avenir douteux ;
La postérité si lointaine
A l’air de marcher devant eux ;


Et tous ces inventeurs de pôles,
Tous ces bâtisseurs de Babel,
Pensent porter sur leurs épaules
Ainsi qu’Atlas le poids d’un ciel.


Hélas ! les rêveurs noctambules
À qui l’on jetterait deux sous !
En les voyant enfler leurs bulles
On les prend pour des hommes soûls.


Soûls, en effet, les pauvres diables,
Et plus soûls que vous ne pensez !
Car leurs gosiers insatiables
Ont bu des alcools insensés.

Ils ont bu le désir qui trouble,
La foi pour qui tout est quitté,
L’orgueil âpre qui fait voir double,
L’idéal et la liberté.


Ils ont bu, bu à pleines lèvres,
Bu à pleins yeux, bu à pleins coeurs,
Cet alcool qui guérit leurs fièvres :
L’assurance d’être vainqueurs.


Ces bavards, qui semblent des drôles,
Mâcheurs de mots, sculpteurs de bruit,
Ces cabotins jouant leurs rôles
Sur les quais déserts dans la nuit,


Ces loqueteux qui par la fange
Traînent leurs pieds las et raidis,
Et près des tonneaux de vidange
Parlent tout haut du Paradis,


Ces gueux qui d’espoir vain se grisent,
Ces fantoches, ces chiens errants,
Seront peut-être ce qu’ils disent,
Et c’est pour cela qu’ils sont grands.


Qui sait ? ces formes peu vêtues
Qui grelottent au vent d’hiver,
Seront peut-être des statues
Immobiles sous le ciel clair.


Et sur les quais, et dans les rues,
Après minuit, avant le jour,
Lorsque les foules disparues
Dorment leur somme épais et lourd,


Leur marbre blanc dans la nuit sombre
Dira leur gloire et votre erreur,
Quand ils se dresseront dans l’ombre
Avec un geste d’empereur.

 

 

 

 

 

NOS GAIETÉS


Quand, soûls, nous braillons un chant,
D’aucuns vont nous reprochant
Notre dignité partie.
Laissez-nous ! les jours sont courts.
On n’est pas gai tous les jours
Dans notre partie.


Vous nous appelez des fous.
Mais, braves gens, savez-vous
Que pour vous jouer ce rôle
Nous crevons de faim souvent ?
Et dîner avec du vent,
Ce n’est pas très drôle.


La faim, la soif et le froid
Sont les sujets de ce roi
Qui s’intitule poète.
Pauvre roi, qui plus d’un jour
Donnerait toute sa cour
Pour une omelette !


C’est entendu, c’est certain,
Nous aurons quelque matin
Notre colonne Trajane.
En attendant ce moment,
Nous la changerions vraiment
Pour un mac-farlane.


L’auréole et ses rayons,
Sacrebleu ! nous les payons
En misère avec usure.
Nous célébrons nos los.
Quel hymne ! Mais nos sanglots
Battent la mesure.


Vous qui buvez sans témoins,
Et qui mangez pour le moins
Trois fois par jour à votre heure,
Taisez-vous, quand par hasard
Nous attrapons une part
De l’assiette au beurre.


Ne faites pas les méchants.
N’ayez pas, grâce à nos chants,
Des digestions moins calmes.
Ventres creux et gosiers secs,
Nous aimons vins et biftecks
Autant que les palmes.


Laissez-nous donc rire un peu.
Aujourd’hui le ciel est bleu,
Notre tristesse est partie.
Laissez-nous ! les jours sont courts.
On n’est pas gai tous les jours
Dans notre partie.

 

 

 

 

NOS REVANCHES


Le bourgeois digère, gavé,
Ses trois repas et son bien-être,
Et rit de voir sur le pavé
Les poètes traîner la guêtre.


Mais que vienne enfin notre jour,
Parmi le public idolâtre
Nous sourions à notre tour
Quand il fait la queue au théâtre.


Là, nous le menons par le nez,
Comme un enfant dont on s’amuse.
Dans ses deux gros yeux étonnés
Nous faisons pleurer notre Muse.


Môme avant le succès, d’ailleurs,
Nous avons contre cette engeance,
Sans conter les bons mots railleurs,
Plus d’une arme et d’une vengeance.


Nous avons le chant, la gaîté,
L’esprit qui guérit bien des choses,
Et le grand orgueil indompté
Qui nous fait des apothéoses.


Nous avons deux divins flambeaux
Dont la gloire les tarabuste :
C’est d’être jeunes, d’être beaux !
Nous avons l’air de notre buste.


Ils disent en se rengorgeant :
– « Vous n’êtes pas de ma famille.
« Sans-le-sou, voyez mon argent.
« Tope, vous’ n’aurez pas ma fille. »


Mais tes filles sont mal en chair ;
Nous n’aimons pas les pommes aigres ;
Et tout l’or du monde, mon cher,
Ne donne pas de gorge aux maigres.


Près de ta fille, épouvantail
Dont le nez pointu nous éborgne,
Nous faisons sous son éventail
Rougir ta femme qui nous lorgne.


Garde tes filles sans appas,
Nous gardons notre épithalame.
Non ! non ! nous ne les aurons pas.
Mon vieux, mais nous avons ta femme.

 

 

 

 

 

UN VÉNÉRABLE


Certes, ce n’était pas un banquier, un notaire,
Un avocat. Pourtant, je ne saurais m’en taire,
Il était respectable et grave, étant très vieux.


Malgré ce que pouvaient dire les envieux,
Quoi qu’il fût de ces gens sans habits de dimanche,
Qui, se peignant des doigts, se mouchent de la manche ;
Quoiqu’il portât parmi sa barbe et ses haillons
Une odeur de sueur ancienne et de graillons ;
Quoiqu’il eût pour garni l’hôtel de la Grande-Ourse.
Cet égorgeur de poche et dégraisseur de bourse ;
Quoiqu’il fût d’un aspect sinistre et scandaleux,
Marmiteux, vermineux, teigneux, rogneux, galeux,
Rouge comme un abcès, rongé comme une dartre,
Il récoltait des coups de chapeau dans Montmartre.


C’était un vieux roublard, un antique marlou.

Jadis on l’avait vu, denté blanc comme un loup,
Vivre pendant trente ans de marmite en marmite.
Plus d’un des jeunes dos, et des plus verts, l’imite.
Il leur parle comme aux chefs grecs parlait Nestor.
Et celui-là qui suit ses conseils n’a pas tort.
Car il est au courant de toutes les histoires,
Sait les aboutissants des femmes méritoires,
Se feuillette comme un dictionnaire entier,
Et vous enseigne à fond tous les trucs du métier.


Aussi, quand, il mourra, car il faut que tout tombe,
On souscrira pour lui décerner une tombe ;
Les plus durs pousseront des soupirs superflus,
Et l’on ira disant que le grand art n’est plus.


En attendant, s’il vit sous ces sales défroques,
C’est qu’il le veut ainsi, c’est qu’il chérit ses loques,
C’est qu’il tient à porter son uniforme ancien,
Comme un vieux général aime à montrer le sien ;
C’est qu’il est fier de voir, devant sa triste mise,
Les modernes marlous à la fine chemise,
Au col cassé rayé de lignes en couleur,
Aux pantalons pattus, aux cravates en fleur,
Soulever en passant leur casquette de soie.
Être ainsi salué, c’est sa gloire et sa joie.
Se sentir un aïeul adoré, quel bonheur !
N’est-ce pas comme qui dirait sa croix d’honneur ?


Ô vénérable ! On l’aime, on le gave, on le soûle,
Pour montrer aux enfants, aux femmes, à la foule,
Qu’un vieillard a toujours tout ce qu’il doit avoir
Lorsque dans sa partie il a fait son devoir.

 

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